lundi 2 mars 2015

Barroco

Dans les quartiers de Buenos Aires où je cheminais j’allais de surprises en surprises, fasciné. Les gestes architecturaux foisonnent et prolifèrent tels une gigantesque tumeur urbaine. Nous logions dans le barrio « San Telmo ». C’est celui que j’ai le plus arpenté, que j’ai le mieux découvert. Situé au S-O de la mégapole, entre barrios riches et le très populaires « La Boca », ce quartier a un côté baroque dans ses paysages urbains et dans sa population. Les bâtiments privés ou publics s’escriment à écrire, entre ciel et pavés, une composition de lignes hétérogènes qui contrebalancent la monotone perpendicularité des rues. A l’évidence il n’y a aucune unité architecturale dans cette ville, exception faite des quartiers plus récents et huppés où les gratte-ciels racontent une mondialisation, ici aussi présente et terriblement ennuyeuse. Dans San Telmo les façades des immeubles mélangent styles et couleurs sans aucun soucis ni d’harmonie ni d’ordonnance. Et le street-art rajoute une couche dans cette anarchie joyeuse et ravissante à mes yeux. Mais il y a une particularité que j’ai découverte ici et vue nulle part ailleurs.

La végétation clandestine 

De cette ville on m’avait dit que j’aimerais les parcs assez nombreux et souvent bien entretenus. Je les ai traversés et en effet ils sont grands et beaux. Mais ce n’est pas cette verdure-là qui m’a plu. Ce qui m’a intrigué ce sont les résurgences du végétal là où il ne devrait pas être. Sur la façade des maisons, au bord des toits ou des fenêtres, entre deux pierres ou dans les gouttières, sur tous les encorbellements et toujours de façon insolite, là où le vent généreux porte des semences, la végétation reprend ses droits. Ce ne sont que plumets d’herbes ou branches grêles qui empanachent les immeubles. Il y ainsi, pour qui se promène le nez en l’air, un jardin suspendu clandestin et ténu qui décore les perspectives de Buenos Aires.


Comme le nénuphar de Chloé

Ces herbes sauvages, pour moi, métaphorisent le travail réalisé par les élèves-comédiens dans la partie porteña du projet « El syndrome ». Sergio Boris n’a pas cessé de leur demander d’accueillir dans leurs registres d’acteur l’inattendu, le grincement, la surprise, l’imprévisible tout ce qui les bouscule sans cesse hors de tout confort de langage et de jeu. Cette perpétuelle mise en danger, dans cette fiction au cœur du Tigre où la chaleur, l’eau et les plantes constituent un milieu propice à donner vie aux créatures les plus fantasques, aux maladies les plus étranges comme le mystérieux « Syndrome », cette mise en danger devrait donner, dans la dernière partie de l’aventure quand Sergio et Adrian les rejoindront à Bordeaux pour continuer le travail, une écriture de plateau foisonnant de matières organiques à même de dépasser la frontière entre vie et mort dans cette écume des jours où le pire peut accoucher d’un flamboyant poème.

Gérard-responsable pédagogique de l'ESTBA

vendredi 27 février 2015

Jour 25 : jeudi 26 février // Whiplash ou Coup de fouet...... !

A l’heure des dernières chaleurs estivales, la première étape de notre création s’achève demain. Après un mois de doutes, de peurs, de crises, de remises en question, nous repartons sans trop savoir ce qui nous attend, car un grand flou demeure. 

Ce mois a été pour moi un long moment de réflexion, seul, mais aussi envers le groupe, car force de propositions, il a fallu savoir quand se mettre en avant, et quand laisser la place pour trouver un équilibre et créer, du moins tendre vers cela, une vraie pièce collective. Ce n’est pas toujours évident d’avoir assez de recul pour comprendre tout ce qui se passe dans nos têtes et sur le plateau, où le temps s’arrête et où je ne me sens presque maître de rien, avec un Sergio très imaginatif, mais je crois que si nous croyons réellement en notre art, s’il est pour nous si immense et si vital, nous trouverons le moyen d’atteindre cet idéal magnifique ! 

Yukio Mishima a écrit ceci et ce sont de beaux mots pour terminer et repartir en France gonflé de bonheur, riche de notre jeunesse et de ce pays, heureux de notre art : 
« J’aime la destruction autant que l’équilibre. Plus exactement, le concept d’un équilibre contrôlé et construit dans le but exclusif de sa propre destruction finale, est ma conception dramatique et même esthétique fondamentale. »
 Anthony - élève

jeudi 26 février 2015

Dernières répétitions à l'Espacio Callejón, avant de se retrouver en juin à Bordeaux

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR










dimanche 22 février 2015

À l'Espacio Callejón, les répétitions s'enchaînent

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

samedi 21 février 2015

Jour 19 : vendredi 20 février // Sentir le temps

Je suis fasciné de voir le temps s’arrêter sur scène. Je ne pense plus à rien, ni au passé, ni à l’avenir. Nous faisons un filage en roue libre, cela dure 1h30. Que penser de nous ? Si ce n’est que notre travail devient minimaliste, économique. Tout se condense et chaque regard peut être un poignard, chaque étreinte peut étouffer. L’incarnation se savoure, et nous jouons à déjouer nos codes d’acteurs français. Car ici, il n’y a pas de texte, ou très peu, et moi qui suis un fervent défenseur du théâtre classique, je me laisse gagner par le plaisir de créer ensemble une œuvre unique, empreint de mystères, et de sauvagerie.... Car si le texte n’est pas le moteur premier, et que notre langue d’expression est ici un espagnol très approximatif, voire inventé, que reste-il à part nos corps, nos regards, nos silences. Une expressivité nouvelle naît lentement, je la croyais insoupçonnée... La réalité devient déconcertante, déroutante. 
Je m’amuse beaucoup à jouer un personnage de metteur en scène insupportable, capricieux et angoissé. Il est facile d’aller chercher en moi, ou chez d’autres artistes du théâtre français, cette part d’ombre dictatoriale, où le théâtre n’est plus seulement un jeu, un art, mais un chemin de croix. Je suis à la recherche de la limite juste, entre l'intransigeance et la catastrophe. J’aime beaucoup ce travail d’acteur si précieux, où notre intériorité est activée, où chaque regard posé sur un camarade, chaque secret susurré, chaque absence de mots s’accordent à raconter une histoire nouvelle, où, pour l’heure, je ne retiens que la perte de soi, la peur et le besoin des autres, du groupe, comme un microcosme singulier qui oscille entre déchirure des chairs et lumière noire...
Anthony - élève 

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR
 

jeudi 19 février 2015

Cabaña tigrense

Ça commence quand Sergio évoque un lieu dans la campagne envahie de moustiques. Puis il précise que cette « cabane » se situe dans le delta du rio de la Plata, le Tigre.  Soit « la cabane du Tigre » toutes portes et fenêtres grandes ouvertes sur les phantasmes. Dans cet univers de boues, de moiteurs et de végétations envahissantes les histoires sont de bonnes pourvoyeuses de cauchemars. Ne dit-on pas que ce delta fut un lieu de non droits dans lequel on peut encore entendre certains soirs, dans de certains endroits les voix des enfants, des femmes ou des hommes rançonnés, parfois torturés et assassinés ? Les improvisations débutent. Dans l’une un personnage entretient une conversation avec son âme. Le comédien joue alternativement  et son corps et son âme faisant entendre leurs voix distinctes. Moment de vertige où l’écriture de plateau brouille les codes, le stand-up côtoie l’ombre double du « Soulier de satin ». Se succèdent une partie de pêche dans un seau en plastique rouge qui conduit à un concours de catatonie puis à un suicide dans la rivière. 

Fragments de films

Sur les canaux du Tigre circulent des lanchas, bateaux de ravitaillement qui emmènent eau potable et vivres aux habitants du delta. Si on rate son passage et que les réserves sont épuisées il faudra attendre la suivante pour boire et manger. Et Sergio propose que dans la fiction elle ne passe qu’une fois par mois. Alors quand les personnages l’imaginent partir, s’arrêter, faire mine de revenir et finalement disparaitre, là ça vire au tragique d’autant qu’un couteau circule entre envies de meurtres et suicides. Ces tensions contradictoires approfondissent, densifient et multiplient les facettes du jeu. J’y vois,  en filigrane,  sourdre la figure d’Anna Magnani dans « Mamma Roma » de Pasolini. Autre moment d’échos cinématographiques cette improvisations dans laquelle deux femmes arrivent dans une cabaña où les accueille au homme au sourire figé. Il veut absolument qu’elles mangent. Cette volonté opiniâtre gauchie l’hospitalité et torture. Parfois, les regards de l’homme se teintent d’une insondable cruauté. Se profile ici le souvenir de « Délivrance » de John Boorman. Dans une autre improvisation ce soir-là les moustiques piquent et rien ne peut les en empêcher. Lors de ces assauts tous les personnages perdent la raison et dans cette frénésie due aux piqures  retentit un hurlement de femme. Sergio propose après de faire un concours de cris. Cependant les bouffonneries ne sont pas absentes de ces improvisations. Ainsi un groupe transforme la cabaña tigrense en club de vacances minable, en lieu de dérisoires divertissements ou de réjouissantes vacuités, le tout à vendre. 

La fête triste

Dans l’étape suivante Sergio propose que cette fête se salisse et se déroule sans paroles audibles. Seules les lèvres mobiles témoignent d’un dialogue. Cependant le travail ne se fera pas dans le silence. Un chant répété à l’envie les accompagne. C’est la voix de d’Alfredo Zitarrosa que nous découvrons. Ce sera pour moi un des très beaux cadeaux que ce pays m’aura offert. Sur ce grain velouté, d’une infinie douceur empreinte de nostalgie, flotte comme un sourire qui semble murmurer si tu es triste ce n’est pas grave, tout vaut la peine d’être vécu, même ça. Ils improvisent alors des sauts dans le vide aux allures de suicides mais les morts se relèvent et le tragique se mue en farce. Les émotions labiles fluctuent avec d’infinies nuances, sur le plateau. 

Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA 

dimanche 15 février 2015

Jour 13 : samedi 14 février // En quête de soi

Je sens en moi un travail important émerger, et après une journée à voguer sur le fleuve Rio de la Plata, je repense au chemin parcouru... et à tout ce qui nous attend.  
Sergio me dit de penser minimalisme, ne pas avoir la volonté de faire trop de choses, oser jouer dans une parfaite relaxation ! Plus nous avançons, plus je vois naître un travail semblable à celui de l’Actor’s Studio de New York, ce n’est pas si loin finalement, « le jeu brut », comment nous créons nos émotions, nos histoires, nos non-dits... Buenos Aires devient une véritable mine d’or : chaque couleur m’inspire, chaque personne devient personnage, je suis un aimant, et malgré ma petite taille, je sens que je me remplis énormément, et heureusement il reste encore beaucoup de place !
Je vois cette création comme une prise de risque belle, jeune et osée. Un bon ami, mentor de toujours, me rappelle ceci: « Si affaissé, brimé, si fini que tu sois, demande toi régulièrement - et irrégulièrement - qu'est-ce qu'aujourd'hui encore je peux risquer ? »
(
Henri Michaux)

Anthony - élève

samedi 14 février 2015

El viento en un violín


L’énigme

C’est une pièce de Claudio Tolcachir que nous sommes allés voir au Teatro La Plaza. La traduction française de son titre pourrait être: « Le vent dans un violon » et c’est une chance que la chaire des mots marche si bien dans les deux langues. Certes il y a du surréalisme dans cette rencontre improbable qui me rappelle celle de la machine à coudre et du parapluie sauf qu’ici les termes espagnols et français font vibrer à l’orée des mots  deux sœurs syllabes comme un mystère têtu dont l’énigme sera résolue dans la dernière image du spectacle en un  instant magnifique comme une action de grâce païenne: un père élève son enfant pour mieux le voir et le célébrer dans la lumière qui, avec une infinie douceur, s’en va. 

Le conte

Il était une fois un violon qui ne chantait plus depuis un fort longtemps (Dario, le fils à sa maman possessive,  cherchait en vain des réponses à ses névroses chez un psy bancal). Il était une autre fois le vent privé de souffle il y avait trop longtemps (deux amantes en mal d’enfant et en recherche de géniteur). Et il était surtout cette fois un poète, Claudio Tolcachir, épris de vive vie et de comédiens flamboyants, qui eut le désir de leur donner les mots afin que ce conte du XXIème siècle chante encore et en corps.

Sans cris et châtiments

Autre moment magique : la mort de la mère castratrice. Ce personnage sature la scène de son énergie dévastatrice. Après avoir bien pourri la vie de son fils et de tous les autres personnages de la pièce elle finit par donner à son « petit » Dario les « clefs » du bonheur, ses deux dernières phrases et elle s’enfouit (s’enfuit) sous les couvertures de son lit-trône. Elle n’en ressortira qu’aux saluts. Ainsi le personnage de Mercedes meurt en silence. Bouleversante élégance finale qui mue cette harpie en pourvoyeuse d’art de vivre. Et de voir ce fils prendre son envol vers ses désirs assumés j’en conclus qu’elle a eu l’élégance de mourir sans cris et châtiments.    


La fille fontaine

Celeste est malade et l’on ne saura jamais de quoi. Du vide de son ventre, sans doute. Avec son amante elles vont tout faire pour que ça cesse et que vienne une grossesse. Et nous assistons à un moment d’anthologie où elles « violent » Dario dans une scène digne des plus grands vaudevilles. Puis quand elle sait qu’adviendra l’enfant, elle fait un geste avec son drap  qui est  gravé dans ma mémoire pour toujours. À genoux sur son lit, emportée par l’allégresse elle dessine un cercle blanc devant elle comme un jet d’eau, un jet de joie rejoignant dans cette écriture scénique la « joy d’amor » des troubadours, force et plaisir de faire. Avec « El viento en un violín » Claudio Tolcachir et sa troupe nous font cadeau d’un art de bricoler la vie pour qu’elle nous soit moins rude.



Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA

En répétition avec Sergio Boris


À l'Espacio Callejón, le 10 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR
À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR

jeudi 12 février 2015

Atelier avec Claudio Tolcachir, à Timbre 4

À Timbre 4, le 12 février 2015 © DR

À Timbre 4, le 12 février 2015 © DR

À Timbre 4, le 10 février 2015 © DR

mercredi 11 février 2015

Jour 9 : mardi 10 février // Mais qu’est-ce que je dois faire ?

Une longue et laborieuse journée de travail, teintée d’amertume. C’est toujours étonnant pour moi de voir à quel point le théâtre m’affecte... 
Ce qui me pousse, ce qui m’emmène plus loin, sans relâche, mais aussi ce qui me blesse... 
J’aime voir notre groupe se serrer les coudes : on est tous le sauveur et le sauvé de quelqu’un. 

Tout est parti d’une grande banalité : j’ai eu un fou rire incontrôlé sur scène. Impossible de maintenir ma concentration. Sergio dit que ce n’est pas grave, mais je sens bien que de belles propositions m'échappent complètement, je mets mes partenaires dans la panade, et cela m’attriste totalement. Il est terrible de sentir le jeu disparaître. Me voilà fondant en larmes, plus bas que terre. 
Je me sens stupide de ne pas réussir à me concentrer, et voilà que l’acteur professionnel que je crois être s'effondre, il ne me reste qu’à remettre les pendules à l’heure ! 
Ne jamais se décourager. Ne jamais abandonner. 

Anthony - élève

lundi 9 février 2015

Caminando


Rencontre avec un vieil homme au coin d’une rue, son domicile, un tas de gravats. Il était assis sur des lambeaux de chaise, face à un fragment de miroir et, muni des restes d’une tête de balai usée, avec beaucoup de soins, il se peignait. Je le vois tous les jours en allant travailler, en  cheminant (« caminando » ce  mot se prolonge en espagnol, avec sa syllabe supplémentaire,  et il suggère  le temps et les plaisirs de la marche, en  allant d’un point à l’autre tout en récoltant les trésors du chemin) cheminant donc avec toute « la troupe » à pied, dans le métro ou en bus vers le Teatro Espacio Callejón. Arrivés là, Alicia, la propriétaire de ce théâtre, nous accueille. Elle a la beauté des femmes d’Almodóvar. Dans la coursive les deux figures tutélaires du lieu nous attendent : deux chats  antiques, efflanqués et lents.  Nous les verrons régulièrement pendant le travail faire un tour dans les gradins. Jamais sur le plateau. Ils ont compris. Pour que les répétitions commencent sont là Sergio Boris, son assistant Adrian et Lisette la traductrice. 


Naviguer à l’estime

Comme Sergio leur avait demandé, à Toulouse lors de la première rencontre, de préparer cinq minutes de présentation (avec accessoires, costumes, maquillages) autour du thème  « Le Syndrome Artaud »,  il leur propose, dès les premiers instants, de se rendre sur le plateau afin de se préparer. Et les métamorphoses commencent. Qui s’enveloppe de bandelettes, qui se drape dans des robes-fourreau noires et classes, qui triture son appareil génital dans un improbable slip de fétichiste, qui corsète son corps dans une chemise grise boutonnée haut, qui voile et dévoile sa nudité d’une combinaison de mailles couleur chair… Mais il les interrompt assez vite et leur demande de recommencer le même parcours, des gradins vers le plateau, des personnes vers les  « personnages ». Le tout accompagné des voix de Carlos Gardel ou Chavela Vargas. Ils construisent une partition complexe faite de thèmes et variations, de mélodies et de dissonances. La tapisserie du jeu tient plus du patchwork que du tissé-serré. Le ton  donné, ils vont naviguer à l’estime. Ce mode de navigation intègre un concept fondamental pour Sergio « l’incertitude ». Aussi n’auront-ils à aucun moment aucun confort. Le cap est toujours à reconsidérer dans l’instant qui s’invente. Et les humeurs caracolent des larmes aux rires, de la rage à la compassion, sans transitions logiques, sans paliers psychologiques. Pour reprendre les mots de Meyerhold on entend là « sonner les grelots de la théâtralité » au point que les codes de jeu se télescopent et que, dans une même improvisation, Sergio les pousse dans le réalisme puis dans le fantastique via le grotesque ou le Grand-Guignol. Certains se jettent dans ce carrousel à corps perdus. Bonheur du jeu qui jubile. Puis vient aussi la proposition de parler en espagnol sur le plateau pour tout le groupe. Et que ceux qui ne savent pas l’inventent. Là apparaissent des zones, sinon de résistance du moins de douloureux replis. Et malgré cela c’est beau de les voir s’accrocher quand même et parvenir à les dire ces mots étranges, étrangers et qui font peur.

Deuxième semaine, nouvelles aventures. Avec Sergio la « troupe » s’installe dans Tigre (immense delta du Río de la Plata dans lequel  se côtoient les terres et les eaux, les riches et les pauvres, monde interlope où tout peut advenir.) C’est dans l’imaginaire de cet entre- tout qu’ils vont nourrir leur improvisations. Avec Claudio Tolcachir commencent les 5 séances de travail prévues. 

Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA


La Omisión de la familia Coleman de Claudio Tolcachir

Cela fait des années que la troupe de Claudio Tolcachir tourne dans le monde entier avec La Omisión de la familia Coleman. Le metteur en scène argentin a même commencé avec ce spectacle... en réunissant au départ quelques uns de ses plus proches amis. Pourtant aujourd’hui, presque dix ans plus tard, le spectacle est présenté non plus dans la casa chorizo où s’est installée la compagnie et l’école Timbre 4, mais dans l’un des complexes théâtraux les plus importants de la capitale.

Dès le début, on comprend que quelque chose cloche chez les Coleman... La relation ambiguë d’une mère à son fils, les propos décousus du plus jeune, la violence et le silence de son frère, la réussite éclatante de l’aînée et une grand-mère qui tombe inexplicablement malade... Des intuitions, mais jamais de certitudes. Tolcachir nous pousse à penser le pire, une humanité dérangeante sans jamais la dire. Ou au contraire à apercevoir, émus, la profondeur de ses personnages.

Ces mots, ce débit si propre aux Porteños, ce lunfardo* qu’ils utilisent allégrement... Tout prend ici une autre dimension.
Omisión. Omission. On passe sous silence. Mais plus que cela, on abandonne. Cette omission est incarnée. Elle n’est pas seulement du non-dit, elle est humaine. Car elle pousse l’un des leurs vers un bord fatal de plus en plus proche. La mort.
Tout est juste, tout est terriblement humain...

*lunfardo : l’argot de Buenos Aires

Emmanuelle - coordinatrice des études de l'ESTBA

Se perdre...

Je me sens tourné vers mes propres doutes. Une longue ballade jusqu’à el Puente de la Mujer n’y fait rien, la peur grandit. L'effervescence de l’arrivée est retombée, nous sommes plongés dans le travail. Catherine Marnas, notre chère directrice, nous avait prévenus, Sergio Boris est un metteur en scène qui cherche et qui va tester nos limites... 

Cette ville semble tout décupler, y compris mes réflexions personnelles. Je ne cesse de me questionner sur pourquoi je fais du théâtre. Je m’étonne, car je sens bien qu’à 14 000 km de la France, la création n’est pas la même ; il ne s’agit pas seulement d’air ambiant, mais aussi de dialogues, de choc de culture, de choc théâtral : les Argentins créent avec rien, l’acteur est au centre, et nous, nous arrivons avec notre jeunesse et nos rêves. Sous nos yeux, soudainement, un vide qui effraie et qui fascine. 

Je ne parle pas au nom de mes camarades, je pense seulement qu’un univers nouveau s’est ouvert à moi, comme une énorme crevasse que je ne soupçonnais pas. Un torrent d’émotions me saute à la figure, et je suis happé par le plateau. C’est d’autant plus déroutant que Sergio pense vite, nous met dans des situations pas évidentes, inconnues, et j’explore en moi un autre moi. J’ai toujours voulu me réinventer, et je crois que c’est le rêve de tout acteur qui se respecte. Cependant, se réinventer demande un laborieux travail et une grande humilité, et à mon âge, les défauts brûlants et maladroits de ma jeunesse qui veut tout connaitre, tout voir, tout faire, vivre vite!, et bien, tout cela m’en empêche. Mais peut-être qu’avec Sergio, je peux faire un pas en avant, même s’il est infime, pour atteindre cet objectif que je me suis fixé depuis si longtemps....
Anthony - élève 


À l'Espacio Callejón, le 8 février 2015 © Anthony Jeanne DR


À l'Espacio Callejón, le 8 février 2015 © Anthony Jeanne DR

dimanche 8 février 2015

Les répétitions continuent à l'Espacio Callejón avec Sergio Boris

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR
À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

vendredi 6 février 2015

Les premières répétitions (suite) avec le metteur en scène Sergio Boris

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR



Jour 4 : jeudi 5 février

Le voyage a ses aléas, j’en fais les frais aujourd’hui... Je suis perdu, écrasé dans un bus, le planétarium que je veux visiter est fermé, le jardin japonais que je visite est décevant, je veux faire à manger mais impossible de trouver des allumettes... ! Ce genre de jour où chaque mauvais pas en entraîne un autre ! 

Quoiqu’il en soit, la chaleur du soir finit par m’apaiser... Le travail avec Sergio est de plus en plus passionnant ! Comme il se plaît à nous le dit, nous entrons dans une ère d’incertitude...! 
J’ai le sentiment que ce que nous vivons est vraiment unique, bien que difficilement explicable. Chaque fois que quelque chose de nouveau se produit, je me dis : «Je n’y aurai jamais pensé!», ou «Je n’aurai jamais osé!», et pourtant, quand je nous vois sur le plateau, je suis heureux de sentir qu’une création singulière, bien que complexe, terrifiante, incertaine, est en train de naître ! Je sais qu’il nous faudra un temps fou de recherche, mais le plaisir qui émane de tout ça, whaou ! C’est un peu comme faire du théâtre pour la première fois ! En même temps, j’aime me dire que la magie du continent sud-américain influe sur nous. 

JOUER ET NE PAS PENSER. Voilà ce que je retiens. 


Anthony-élève

Les premières répétitions avec le metteur en scène Sergio Boris

À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR
À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR


À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR
À l'Espacio Callejón, le 5 février 2015 © DR



Le tsunami des émotions


Devant la gare St Jean nous sommes là attendant la Navette pour l’aéroport (premier « tapis volant » vers l’Argentine). Partout des sourires, des étoiles dans les yeux. Et l’une découvre que Carlos Gardel était toulousain. Et l’autre prendra l’avion pour la première fois. Au décollage les yeux d’Annabelle s’illuminent de bonheur. Bordeaux-Madrid très rapide. Seule une hôtesse de l’air au regard de banderilles nous foudroie, Clémentine et moi, car nous ne sommes pas assez concentrés sur notre tâche de gardien des «:emergency gate ». Heureusement nous n’avons pas eu à les manœuvrer.

« Madrid-Barajas » : ses ascenseurs, ses escaliers et ses tapis roulants, son métro.  Nous sommes à la fête foraine des aéroports. Pur bonheur de vivre et de bouger. Passage à la douane, forte peur car l’une de nous ne retrouve plus sa carte d’embarquement. Mais nous sommes sauvés, la voilà qui refait surface du fin fond de son sac de fille. Devant nous trois heures trente d’attente s’étirent. Un délicieux chocolat noir des Caraïbes nous aide à grignoter le temps. Vient l’envol vers Buenos Aires. Immense avion rempli de films, de nourritures (mauvaises) et d’un peu de sommeil. Ceux qui s’en sortent le mieux sont les constructeurs de cabanes : avec les capuches des sweets, les couvertures. Plaisirs régressifs et efficaces.

Premier matin portegno. Les étoiles ont viré rouges dans les yeux. Interminables files d’attente à la douane, puis nous sortons enfin de l’aéroport de Buenos Aires et là nous attend un gentil soleil qui nous claque sa bise de bienvenue. Nous y sommes. Visites et installations dans les apparts. Découverte des somptuosités passées (bois précieux, marbres, moulures) et des lèpres présentes (peintures écaillées, céramiques cassées, lustres de guingois). Puis c’est la course aux courses. La douche et le premier RV avec Judith devant un verre, sur une place.

Plaza Dorrego

Dans le paseo Colon qui mène à cette place il y a des hommes, somnolents parfois, qui vendent des bouts de la Belle Abattue. Les volutes Art Nouveau côtoient les angles Arts Déco tout ça astiqué vif afin que les dollars rentrent. La grande bourgeoisie ruinée a bradé ses argenteries aux marchands du temple.  Et ces antiquaires saturent leurs boutiques d’écœurante façon. Au bout du boyau argenté on débouche sur la Plaza Dorrego, trouée de verdure et de ciel. C’est une place tanguera. En son centre on y danse le tango. Et nous voilà les seize autour d’une longue table nous abreuvant de bières et de musiques  et de ces instants où la femme et l’homme suspendent la danse en une acmé de voluptueuse concentration.  Puis les paroles circulent et les rires fusent. La douceur d’être là s’impose.

Le soir, non loin de là, les plus affamés se retrouvent au restaurant « El Desnivel » où l’on dévore, nous dit-on, de tendrissimes pièces de bœuf. Et en effet, quand arrive dans nos assiettes le bife de lomo,  première surprise le morceau est énorme et tellement épais. Puis vient la deuxième : quand la dégustation commence nous nous accordons tous à reconnaitre que nous n’avions jamais mangé viande si goûteuse, si tendre. Et comme c’est le premier soir et pour que tous les sens s’exaltent nous nous sommes offert du  « San Felipe Malbec » vin de Mendoza, à la robe d’un rouge profond, capiteux, et tenant bien en bouche. Mariage parfait entre le manger et le boire. Non loin de nous une dame déchue « des folles années trente » mange sa viande sans lever le coude et sa longue chevelure blanche découvre, parfois, les plis de son dos nu. Elle est  bouleversante et pathétique. Et c’est ainsi que le réel nous convie au théâtre.

Demain commence le travail avec Sergio Boris.

Gérard Laurent - responsable pédagogique de l'ESTBA

jeudi 5 février 2015

Jour 3 : mercredi 4 février

Aujourd’hui, je continue mon exploration de la ville, tout en repensant au travail avec Sergio... Cette ville semble avoir mille facettes : la douce lumière du matin n’empêche ni la chaleur, ni les bus bondés, et je me retrouve dans le nord de Buenos Aires, à l’écart des quartiers «populaires», dans une sorte de New-York latino.
Les avenues sont si grandes que décider de les arpenter à pied, c’est s’engager sur le long terme... Et pourtant, rien ne nous arrête ! 
Il est difficile de croire que nous sommes bel et bien à l’autre bout de la terre... Et pourtant, une énergie stimule nos corps, notre créativité se nourrit de tout, du moins, je le ressens comme ça. Chaque parole, chaque croisement, chacun de mes regards naïfs posés sur cette cité, et bien je me les rappelle. Ici, il faut apprendre à travailler différemment, il faut garder l’esprit bien ouvert ! 

Cet après-midi, travail autonome. Je ressens un grand lâché-prise. Ça fait un bien fou ! J’aime cette idée de travail en collectif, en quête de forte incarnation... Une recherche vibrante, sur les tensions, les non-dits, les rires, mais aussi la violence, le rêve... Tout va changer un million de fois, mais ce que j’aime, c’est ce questionnement, d’acteur, d’art, de vie. 
Pour la première fois, je ne suis vraiment pas sur de ce que je fais, et pourtant, j’y prends un plaisir incroyable ! Je n’ai pas spécialement envie de produire, ni de monter à quel point j’ai du talent, mais simplement de jouer avec ce qui m’entoure, dans la plus grande sincérité. Arrêter de penser ! Jouer, avec les autres, créer ensemble. Aimer me laisser porter, chercher avec moi-même, et surtout voir à quel point toute cette classe est une classe de tarés ! Car avec cette bienveillance qui rassure, tout devient possible. 

Anthony - élève

mercredi 4 février 2015

Jour 2 : mardi 3 février

Première répétition avec Sergio Boris, au cœur d’un petit théâtre indépendant, le tout premier de Buenos Aires. Un lieu qui pourrait ressembler à ces vieux théâtres faits de bois et de métal rouillé, non dénués de charme, bien au contraire, un espace où notre imaginaire ne demande qu’à exploser !
Sergio rentre immédiatement dans le vif du sujet, nous sommes les 14 sur scène, à devoir improviser une situation. Alors nous faisons... une fois. Puis il nous demande de reprendre une seconde fois. Puis une troisième. Puis une quatrième... etc. Et chaque étape apporte son lot d’informations supplémentaires. 
À écouter Sergio, du moins, je parle au premier abord, il est difficile de suivre sa pensée et on peut se dire : « ce mec nous dit tout ce qui lui passe par la tête! », et pourtant, il apporte rapidement l’élément qui fait que tout devient logique. Ceci reste ma propre perception, bien entendu ! 
Comme un poète qui écrit sur un plateau. Enfin, les choses évolueront forcément, car il s’agit ici du premier jour... 
Une chose me marque, tout va très vite, certains d’entre nous semblent totalement euphoriques, d’autres perdus... Il va nous falloir une bonne nuit de sommeil pour que tout cela repose. Un travail intense nous attend. Pour ma part, j’ai envie de faire confiance, et de voir jusqu’où on peut me mener. 

Anthony - élève