lundi 9 février 2015

Caminando


Rencontre avec un vieil homme au coin d’une rue, son domicile, un tas de gravats. Il était assis sur des lambeaux de chaise, face à un fragment de miroir et, muni des restes d’une tête de balai usée, avec beaucoup de soins, il se peignait. Je le vois tous les jours en allant travailler, en  cheminant (« caminando » ce  mot se prolonge en espagnol, avec sa syllabe supplémentaire,  et il suggère  le temps et les plaisirs de la marche, en  allant d’un point à l’autre tout en récoltant les trésors du chemin) cheminant donc avec toute « la troupe » à pied, dans le métro ou en bus vers le Teatro Espacio Callejón. Arrivés là, Alicia, la propriétaire de ce théâtre, nous accueille. Elle a la beauté des femmes d’Almodóvar. Dans la coursive les deux figures tutélaires du lieu nous attendent : deux chats  antiques, efflanqués et lents.  Nous les verrons régulièrement pendant le travail faire un tour dans les gradins. Jamais sur le plateau. Ils ont compris. Pour que les répétitions commencent sont là Sergio Boris, son assistant Adrian et Lisette la traductrice. 


Naviguer à l’estime

Comme Sergio leur avait demandé, à Toulouse lors de la première rencontre, de préparer cinq minutes de présentation (avec accessoires, costumes, maquillages) autour du thème  « Le Syndrome Artaud »,  il leur propose, dès les premiers instants, de se rendre sur le plateau afin de se préparer. Et les métamorphoses commencent. Qui s’enveloppe de bandelettes, qui se drape dans des robes-fourreau noires et classes, qui triture son appareil génital dans un improbable slip de fétichiste, qui corsète son corps dans une chemise grise boutonnée haut, qui voile et dévoile sa nudité d’une combinaison de mailles couleur chair… Mais il les interrompt assez vite et leur demande de recommencer le même parcours, des gradins vers le plateau, des personnes vers les  « personnages ». Le tout accompagné des voix de Carlos Gardel ou Chavela Vargas. Ils construisent une partition complexe faite de thèmes et variations, de mélodies et de dissonances. La tapisserie du jeu tient plus du patchwork que du tissé-serré. Le ton  donné, ils vont naviguer à l’estime. Ce mode de navigation intègre un concept fondamental pour Sergio « l’incertitude ». Aussi n’auront-ils à aucun moment aucun confort. Le cap est toujours à reconsidérer dans l’instant qui s’invente. Et les humeurs caracolent des larmes aux rires, de la rage à la compassion, sans transitions logiques, sans paliers psychologiques. Pour reprendre les mots de Meyerhold on entend là « sonner les grelots de la théâtralité » au point que les codes de jeu se télescopent et que, dans une même improvisation, Sergio les pousse dans le réalisme puis dans le fantastique via le grotesque ou le Grand-Guignol. Certains se jettent dans ce carrousel à corps perdus. Bonheur du jeu qui jubile. Puis vient aussi la proposition de parler en espagnol sur le plateau pour tout le groupe. Et que ceux qui ne savent pas l’inventent. Là apparaissent des zones, sinon de résistance du moins de douloureux replis. Et malgré cela c’est beau de les voir s’accrocher quand même et parvenir à les dire ces mots étranges, étrangers et qui font peur.

Deuxième semaine, nouvelles aventures. Avec Sergio la « troupe » s’installe dans Tigre (immense delta du Río de la Plata dans lequel  se côtoient les terres et les eaux, les riches et les pauvres, monde interlope où tout peut advenir.) C’est dans l’imaginaire de cet entre- tout qu’ils vont nourrir leur improvisations. Avec Claudio Tolcachir commencent les 5 séances de travail prévues. 

Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire