Rencontre avec un vieil homme au coin d’une rue, son
domicile, un tas de gravats. Il était assis sur des lambeaux de chaise, face à
un fragment de miroir et, muni des restes d’une tête de balai usée, avec
beaucoup de soins, il se peignait. Je le vois tous les jours en allant
travailler, en cheminant (« caminando » ce mot se
prolonge en espagnol, avec sa syllabe supplémentaire, et il suggère
le temps et les plaisirs de la marche, en allant d’un point à
l’autre tout en récoltant les trésors du chemin) cheminant donc avec toute
« la troupe » à pied, dans le métro ou en bus vers le Teatro Espacio
Callejón. Arrivés là, Alicia, la propriétaire de ce théâtre, nous accueille.
Elle a la beauté des femmes d’Almodóvar. Dans la coursive les deux figures
tutélaires du lieu nous attendent : deux chats antiques, efflanqués
et lents. Nous les verrons régulièrement pendant le travail faire un tour
dans les gradins. Jamais sur le plateau. Ils ont compris. Pour que les
répétitions commencent sont là Sergio Boris, son assistant Adrian et Lisette la
traductrice.
Naviguer à l’estime
Comme Sergio leur avait demandé, à Toulouse lors de
la première rencontre, de préparer cinq minutes de présentation (avec
accessoires, costumes, maquillages) autour du thème « Le Syndrome
Artaud », il leur propose, dès les premiers instants, de se rendre
sur le plateau afin de se préparer. Et les métamorphoses commencent. Qui
s’enveloppe de bandelettes, qui se drape dans des robes-fourreau noires et
classes, qui triture son appareil génital dans un improbable slip de
fétichiste, qui corsète son corps dans une chemise grise boutonnée haut, qui
voile et dévoile sa nudité d’une combinaison de mailles couleur chair… Mais il
les interrompt assez vite et leur demande de recommencer le même parcours, des
gradins vers le plateau, des personnes vers les
« personnages ». Le tout accompagné des voix de Carlos Gardel ou
Chavela Vargas. Ils construisent une partition complexe faite de thèmes et
variations, de mélodies et de dissonances. La tapisserie du jeu tient plus du
patchwork que du tissé-serré. Le ton donné, ils vont naviguer à l’estime.
Ce mode de navigation intègre un concept fondamental pour Sergio
« l’incertitude ». Aussi n’auront-ils à aucun moment aucun confort.
Le cap est toujours à reconsidérer dans l’instant qui s’invente. Et les humeurs
caracolent des larmes aux rires, de la rage à la compassion, sans transitions
logiques, sans paliers psychologiques. Pour reprendre les mots de Meyerhold on
entend là « sonner les grelots de la théâtralité » au point que les
codes de jeu se télescopent et que, dans une même improvisation, Sergio les
pousse dans le réalisme puis dans le fantastique via le grotesque ou le
Grand-Guignol. Certains se jettent dans ce carrousel à corps perdus. Bonheur du
jeu qui jubile. Puis vient aussi la proposition de parler en espagnol sur le
plateau pour tout le groupe. Et que ceux qui ne savent pas l’inventent. Là
apparaissent des zones, sinon de résistance du moins de douloureux replis. Et
malgré cela c’est beau de les voir s’accrocher quand même et parvenir à les
dire ces mots étranges, étrangers et qui font peur.
Deuxième semaine, nouvelles aventures. Avec Sergio la
« troupe » s’installe dans Tigre (immense delta du Río de la Plata
dans lequel se côtoient les terres et les eaux, les riches et les
pauvres, monde interlope où tout peut advenir.) C’est dans l’imaginaire de cet
entre- tout qu’ils vont nourrir leur improvisations. Avec Claudio Tolcachir
commencent les 5 séances de travail prévues.
Gérard
- responsable pédagogique de l'ESTBA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire