samedi 14 février 2015

El viento en un violín


L’énigme

C’est une pièce de Claudio Tolcachir que nous sommes allés voir au Teatro La Plaza. La traduction française de son titre pourrait être: « Le vent dans un violon » et c’est une chance que la chaire des mots marche si bien dans les deux langues. Certes il y a du surréalisme dans cette rencontre improbable qui me rappelle celle de la machine à coudre et du parapluie sauf qu’ici les termes espagnols et français font vibrer à l’orée des mots  deux sœurs syllabes comme un mystère têtu dont l’énigme sera résolue dans la dernière image du spectacle en un  instant magnifique comme une action de grâce païenne: un père élève son enfant pour mieux le voir et le célébrer dans la lumière qui, avec une infinie douceur, s’en va. 

Le conte

Il était une fois un violon qui ne chantait plus depuis un fort longtemps (Dario, le fils à sa maman possessive,  cherchait en vain des réponses à ses névroses chez un psy bancal). Il était une autre fois le vent privé de souffle il y avait trop longtemps (deux amantes en mal d’enfant et en recherche de géniteur). Et il était surtout cette fois un poète, Claudio Tolcachir, épris de vive vie et de comédiens flamboyants, qui eut le désir de leur donner les mots afin que ce conte du XXIème siècle chante encore et en corps.

Sans cris et châtiments

Autre moment magique : la mort de la mère castratrice. Ce personnage sature la scène de son énergie dévastatrice. Après avoir bien pourri la vie de son fils et de tous les autres personnages de la pièce elle finit par donner à son « petit » Dario les « clefs » du bonheur, ses deux dernières phrases et elle s’enfouit (s’enfuit) sous les couvertures de son lit-trône. Elle n’en ressortira qu’aux saluts. Ainsi le personnage de Mercedes meurt en silence. Bouleversante élégance finale qui mue cette harpie en pourvoyeuse d’art de vivre. Et de voir ce fils prendre son envol vers ses désirs assumés j’en conclus qu’elle a eu l’élégance de mourir sans cris et châtiments.    


La fille fontaine

Celeste est malade et l’on ne saura jamais de quoi. Du vide de son ventre, sans doute. Avec son amante elles vont tout faire pour que ça cesse et que vienne une grossesse. Et nous assistons à un moment d’anthologie où elles « violent » Dario dans une scène digne des plus grands vaudevilles. Puis quand elle sait qu’adviendra l’enfant, elle fait un geste avec son drap  qui est  gravé dans ma mémoire pour toujours. À genoux sur son lit, emportée par l’allégresse elle dessine un cercle blanc devant elle comme un jet d’eau, un jet de joie rejoignant dans cette écriture scénique la « joy d’amor » des troubadours, force et plaisir de faire. Avec « El viento en un violín » Claudio Tolcachir et sa troupe nous font cadeau d’un art de bricoler la vie pour qu’elle nous soit moins rude.



Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA

En répétition avec Sergio Boris


À l'Espacio Callejón, le 10 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR
À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 12 février 2015 © DR

jeudi 12 février 2015

Atelier avec Claudio Tolcachir, à Timbre 4

À Timbre 4, le 12 février 2015 © DR

À Timbre 4, le 12 février 2015 © DR

À Timbre 4, le 10 février 2015 © DR

mercredi 11 février 2015

Jour 9 : mardi 10 février // Mais qu’est-ce que je dois faire ?

Une longue et laborieuse journée de travail, teintée d’amertume. C’est toujours étonnant pour moi de voir à quel point le théâtre m’affecte... 
Ce qui me pousse, ce qui m’emmène plus loin, sans relâche, mais aussi ce qui me blesse... 
J’aime voir notre groupe se serrer les coudes : on est tous le sauveur et le sauvé de quelqu’un. 

Tout est parti d’une grande banalité : j’ai eu un fou rire incontrôlé sur scène. Impossible de maintenir ma concentration. Sergio dit que ce n’est pas grave, mais je sens bien que de belles propositions m'échappent complètement, je mets mes partenaires dans la panade, et cela m’attriste totalement. Il est terrible de sentir le jeu disparaître. Me voilà fondant en larmes, plus bas que terre. 
Je me sens stupide de ne pas réussir à me concentrer, et voilà que l’acteur professionnel que je crois être s'effondre, il ne me reste qu’à remettre les pendules à l’heure ! 
Ne jamais se décourager. Ne jamais abandonner. 

Anthony - élève

lundi 9 février 2015

Caminando


Rencontre avec un vieil homme au coin d’une rue, son domicile, un tas de gravats. Il était assis sur des lambeaux de chaise, face à un fragment de miroir et, muni des restes d’une tête de balai usée, avec beaucoup de soins, il se peignait. Je le vois tous les jours en allant travailler, en  cheminant (« caminando » ce  mot se prolonge en espagnol, avec sa syllabe supplémentaire,  et il suggère  le temps et les plaisirs de la marche, en  allant d’un point à l’autre tout en récoltant les trésors du chemin) cheminant donc avec toute « la troupe » à pied, dans le métro ou en bus vers le Teatro Espacio Callejón. Arrivés là, Alicia, la propriétaire de ce théâtre, nous accueille. Elle a la beauté des femmes d’Almodóvar. Dans la coursive les deux figures tutélaires du lieu nous attendent : deux chats  antiques, efflanqués et lents.  Nous les verrons régulièrement pendant le travail faire un tour dans les gradins. Jamais sur le plateau. Ils ont compris. Pour que les répétitions commencent sont là Sergio Boris, son assistant Adrian et Lisette la traductrice. 


Naviguer à l’estime

Comme Sergio leur avait demandé, à Toulouse lors de la première rencontre, de préparer cinq minutes de présentation (avec accessoires, costumes, maquillages) autour du thème  « Le Syndrome Artaud »,  il leur propose, dès les premiers instants, de se rendre sur le plateau afin de se préparer. Et les métamorphoses commencent. Qui s’enveloppe de bandelettes, qui se drape dans des robes-fourreau noires et classes, qui triture son appareil génital dans un improbable slip de fétichiste, qui corsète son corps dans une chemise grise boutonnée haut, qui voile et dévoile sa nudité d’une combinaison de mailles couleur chair… Mais il les interrompt assez vite et leur demande de recommencer le même parcours, des gradins vers le plateau, des personnes vers les  « personnages ». Le tout accompagné des voix de Carlos Gardel ou Chavela Vargas. Ils construisent une partition complexe faite de thèmes et variations, de mélodies et de dissonances. La tapisserie du jeu tient plus du patchwork que du tissé-serré. Le ton  donné, ils vont naviguer à l’estime. Ce mode de navigation intègre un concept fondamental pour Sergio « l’incertitude ». Aussi n’auront-ils à aucun moment aucun confort. Le cap est toujours à reconsidérer dans l’instant qui s’invente. Et les humeurs caracolent des larmes aux rires, de la rage à la compassion, sans transitions logiques, sans paliers psychologiques. Pour reprendre les mots de Meyerhold on entend là « sonner les grelots de la théâtralité » au point que les codes de jeu se télescopent et que, dans une même improvisation, Sergio les pousse dans le réalisme puis dans le fantastique via le grotesque ou le Grand-Guignol. Certains se jettent dans ce carrousel à corps perdus. Bonheur du jeu qui jubile. Puis vient aussi la proposition de parler en espagnol sur le plateau pour tout le groupe. Et que ceux qui ne savent pas l’inventent. Là apparaissent des zones, sinon de résistance du moins de douloureux replis. Et malgré cela c’est beau de les voir s’accrocher quand même et parvenir à les dire ces mots étranges, étrangers et qui font peur.

Deuxième semaine, nouvelles aventures. Avec Sergio la « troupe » s’installe dans Tigre (immense delta du Río de la Plata dans lequel  se côtoient les terres et les eaux, les riches et les pauvres, monde interlope où tout peut advenir.) C’est dans l’imaginaire de cet entre- tout qu’ils vont nourrir leur improvisations. Avec Claudio Tolcachir commencent les 5 séances de travail prévues. 

Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA


La Omisión de la familia Coleman de Claudio Tolcachir

Cela fait des années que la troupe de Claudio Tolcachir tourne dans le monde entier avec La Omisión de la familia Coleman. Le metteur en scène argentin a même commencé avec ce spectacle... en réunissant au départ quelques uns de ses plus proches amis. Pourtant aujourd’hui, presque dix ans plus tard, le spectacle est présenté non plus dans la casa chorizo où s’est installée la compagnie et l’école Timbre 4, mais dans l’un des complexes théâtraux les plus importants de la capitale.

Dès le début, on comprend que quelque chose cloche chez les Coleman... La relation ambiguë d’une mère à son fils, les propos décousus du plus jeune, la violence et le silence de son frère, la réussite éclatante de l’aînée et une grand-mère qui tombe inexplicablement malade... Des intuitions, mais jamais de certitudes. Tolcachir nous pousse à penser le pire, une humanité dérangeante sans jamais la dire. Ou au contraire à apercevoir, émus, la profondeur de ses personnages.

Ces mots, ce débit si propre aux Porteños, ce lunfardo* qu’ils utilisent allégrement... Tout prend ici une autre dimension.
Omisión. Omission. On passe sous silence. Mais plus que cela, on abandonne. Cette omission est incarnée. Elle n’est pas seulement du non-dit, elle est humaine. Car elle pousse l’un des leurs vers un bord fatal de plus en plus proche. La mort.
Tout est juste, tout est terriblement humain...

*lunfardo : l’argot de Buenos Aires

Emmanuelle - coordinatrice des études de l'ESTBA

Se perdre...

Je me sens tourné vers mes propres doutes. Une longue ballade jusqu’à el Puente de la Mujer n’y fait rien, la peur grandit. L'effervescence de l’arrivée est retombée, nous sommes plongés dans le travail. Catherine Marnas, notre chère directrice, nous avait prévenus, Sergio Boris est un metteur en scène qui cherche et qui va tester nos limites... 

Cette ville semble tout décupler, y compris mes réflexions personnelles. Je ne cesse de me questionner sur pourquoi je fais du théâtre. Je m’étonne, car je sens bien qu’à 14 000 km de la France, la création n’est pas la même ; il ne s’agit pas seulement d’air ambiant, mais aussi de dialogues, de choc de culture, de choc théâtral : les Argentins créent avec rien, l’acteur est au centre, et nous, nous arrivons avec notre jeunesse et nos rêves. Sous nos yeux, soudainement, un vide qui effraie et qui fascine. 

Je ne parle pas au nom de mes camarades, je pense seulement qu’un univers nouveau s’est ouvert à moi, comme une énorme crevasse que je ne soupçonnais pas. Un torrent d’émotions me saute à la figure, et je suis happé par le plateau. C’est d’autant plus déroutant que Sergio pense vite, nous met dans des situations pas évidentes, inconnues, et j’explore en moi un autre moi. J’ai toujours voulu me réinventer, et je crois que c’est le rêve de tout acteur qui se respecte. Cependant, se réinventer demande un laborieux travail et une grande humilité, et à mon âge, les défauts brûlants et maladroits de ma jeunesse qui veut tout connaitre, tout voir, tout faire, vivre vite!, et bien, tout cela m’en empêche. Mais peut-être qu’avec Sergio, je peux faire un pas en avant, même s’il est infime, pour atteindre cet objectif que je me suis fixé depuis si longtemps....
Anthony - élève 


À l'Espacio Callejón, le 8 février 2015 © Anthony Jeanne DR


À l'Espacio Callejón, le 8 février 2015 © Anthony Jeanne DR

dimanche 8 février 2015

Les répétitions continuent à l'Espacio Callejón avec Sergio Boris

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR
À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 6 février 2015 © DR