Devant la gare St Jean nous
sommes là attendant la Navette pour l’aéroport (premier « tapis volant » vers
l’Argentine). Partout des sourires, des étoiles dans les yeux. Et l’une
découvre que Carlos Gardel était toulousain. Et l’autre prendra l’avion pour la
première fois. Au décollage les yeux d’Annabelle s’illuminent de bonheur.
Bordeaux-Madrid très rapide. Seule une hôtesse de l’air au regard de
banderilles nous foudroie, Clémentine et moi, car nous ne sommes pas assez
concentrés sur notre tâche de gardien des «:emergency gate ». Heureusement nous
n’avons pas eu à les manœuvrer.
« Madrid-Barajas » : ses
ascenseurs, ses escaliers et ses tapis roulants, son métro. Nous sommes à la fête foraine des aéroports.
Pur bonheur de vivre et de bouger. Passage à la douane, forte peur car l’une de
nous ne retrouve plus sa carte d’embarquement. Mais nous sommes sauvés, la
voilà qui refait surface du fin fond de son sac de fille. Devant nous trois
heures trente d’attente s’étirent. Un délicieux chocolat noir des Caraïbes nous
aide à grignoter le temps. Vient l’envol vers Buenos Aires. Immense avion
rempli de films, de nourritures (mauvaises) et d’un peu de sommeil. Ceux qui
s’en sortent le mieux sont les constructeurs de cabanes : avec les capuches des
sweets, les couvertures. Plaisirs régressifs et efficaces.
Premier matin portegno. Les
étoiles ont viré rouges dans les yeux. Interminables files d’attente à la
douane, puis nous sortons enfin de l’aéroport de Buenos Aires et là nous attend
un gentil soleil qui nous claque sa bise de bienvenue. Nous y sommes. Visites
et installations dans les apparts. Découverte des somptuosités passées (bois
précieux, marbres, moulures) et des lèpres présentes (peintures écaillées,
céramiques cassées, lustres de guingois). Puis c’est la course aux courses. La
douche et le premier RV avec Judith devant un verre, sur une place.
Plaza Dorrego
Dans le paseo Colon qui mène
à cette place il y a des hommes, somnolents parfois, qui vendent des bouts de
la Belle Abattue. Les volutes Art Nouveau côtoient les angles Arts Déco tout ça
astiqué vif afin que les dollars rentrent. La grande bourgeoisie ruinée a bradé
ses argenteries aux marchands du temple.
Et ces antiquaires saturent leurs boutiques d’écœurante façon. Au bout
du boyau argenté on débouche sur la Plaza Dorrego, trouée de verdure et de
ciel. C’est une place tanguera. En son centre on y danse le tango. Et nous
voilà les seize autour d’une longue table nous abreuvant de bières et de
musiques et de ces instants où la femme
et l’homme suspendent la danse en une acmé de voluptueuse concentration. Puis les paroles circulent et les rires
fusent. La douceur d’être là s’impose.
Le soir, non loin de là, les
plus affamés se retrouvent au restaurant « El Desnivel » où l’on dévore, nous
dit-on, de tendrissimes pièces de bœuf. Et en effet, quand arrive dans nos
assiettes le bife de lomo, première
surprise le morceau est énorme et tellement épais. Puis vient la deuxième :
quand la dégustation commence nous nous accordons tous à reconnaitre que nous
n’avions jamais mangé viande si goûteuse, si tendre. Et comme c’est le premier
soir et pour que tous les sens s’exaltent nous nous sommes offert du « San Felipe Malbec » vin de Mendoza, à la
robe d’un rouge profond, capiteux, et tenant bien en bouche. Mariage parfait
entre le manger et le boire. Non loin de nous une dame déchue « des folles
années trente » mange sa viande sans lever le coude et sa longue chevelure
blanche découvre, parfois, les plis de son dos nu. Elle est bouleversante et pathétique. Et c’est ainsi que
le réel nous convie au théâtre.
Demain commence le travail
avec Sergio Boris.
Gérard Laurent - responsable pédagogique de l'ESTBA
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