Ça commence quand Sergio évoque un
lieu dans la campagne envahie de moustiques. Puis il précise que cette
« cabane » se situe dans le delta du rio de la Plata, le Tigre.
Soit « la cabane du Tigre » toutes portes et fenêtres grandes
ouvertes sur les phantasmes. Dans cet univers de boues, de moiteurs et de
végétations envahissantes les histoires sont de bonnes pourvoyeuses de
cauchemars. Ne dit-on pas que ce delta fut un lieu de non droits dans lequel on
peut encore entendre certains soirs, dans de certains endroits les voix des
enfants, des femmes ou des hommes rançonnés, parfois torturés et assassinés ?
Les improvisations débutent. Dans l’une un personnage entretient une
conversation avec son âme. Le comédien joue alternativement et son corps
et son âme faisant entendre leurs voix distinctes. Moment de vertige où
l’écriture de plateau brouille les codes, le stand-up côtoie l’ombre double du
« Soulier de satin ». Se succèdent une partie de pêche dans un seau
en plastique rouge qui conduit à un concours de catatonie puis à un suicide
dans la rivière.
Fragments de films
Sur les canaux du Tigre circulent
des lanchas, bateaux de ravitaillement qui emmènent eau potable et vivres aux
habitants du delta. Si on rate son passage et que les réserves sont épuisées il
faudra attendre la suivante pour boire et manger. Et Sergio propose que dans la
fiction elle ne passe qu’une fois par mois. Alors quand les personnages
l’imaginent partir, s’arrêter, faire mine de revenir et finalement disparaitre,
là ça vire au tragique d’autant qu’un couteau circule entre envies de meurtres
et suicides. Ces tensions contradictoires approfondissent, densifient et
multiplient les facettes du jeu. J’y vois, en filigrane, sourdre la
figure d’Anna Magnani dans « Mamma Roma » de Pasolini. Autre moment
d’échos cinématographiques cette improvisations dans laquelle deux femmes
arrivent dans une cabaña où les accueille au homme au sourire figé. Il veut
absolument qu’elles mangent. Cette volonté opiniâtre gauchie l’hospitalité et
torture. Parfois, les regards de l’homme se teintent d’une insondable cruauté.
Se profile ici le souvenir de « Délivrance » de John Boorman. Dans
une autre improvisation ce soir-là les moustiques piquent et rien ne peut les en
empêcher. Lors de ces assauts tous les personnages perdent la raison et dans
cette frénésie due aux piqures retentit un hurlement de femme. Sergio
propose après de faire un concours de cris. Cependant les bouffonneries ne sont
pas absentes de ces improvisations. Ainsi un groupe transforme la cabaña
tigrense en club de vacances minable, en lieu de dérisoires divertissements ou
de réjouissantes vacuités, le tout à vendre.
La fête triste
Dans l’étape suivante Sergio propose
que cette fête se salisse et se déroule sans paroles audibles. Seules les
lèvres mobiles témoignent d’un dialogue. Cependant le travail ne se fera pas
dans le silence. Un chant répété à l’envie les accompagne. C’est la voix de
d’Alfredo Zitarrosa que nous découvrons. Ce sera pour moi un des très beaux
cadeaux que ce pays m’aura offert. Sur ce grain velouté, d’une infinie douceur
empreinte de nostalgie, flotte comme un sourire qui semble murmurer si tu es
triste ce n’est pas grave, tout vaut la peine d’être vécu, même ça. Ils
improvisent alors des sauts dans le vide aux allures de suicides mais les morts
se relèvent et le tragique se mue en farce. Les émotions labiles fluctuent avec
d’infinies nuances, sur le plateau.
Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA
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