jeudi 19 février 2015

Cabaña tigrense

Ça commence quand Sergio évoque un lieu dans la campagne envahie de moustiques. Puis il précise que cette « cabane » se situe dans le delta du rio de la Plata, le Tigre.  Soit « la cabane du Tigre » toutes portes et fenêtres grandes ouvertes sur les phantasmes. Dans cet univers de boues, de moiteurs et de végétations envahissantes les histoires sont de bonnes pourvoyeuses de cauchemars. Ne dit-on pas que ce delta fut un lieu de non droits dans lequel on peut encore entendre certains soirs, dans de certains endroits les voix des enfants, des femmes ou des hommes rançonnés, parfois torturés et assassinés ? Les improvisations débutent. Dans l’une un personnage entretient une conversation avec son âme. Le comédien joue alternativement  et son corps et son âme faisant entendre leurs voix distinctes. Moment de vertige où l’écriture de plateau brouille les codes, le stand-up côtoie l’ombre double du « Soulier de satin ». Se succèdent une partie de pêche dans un seau en plastique rouge qui conduit à un concours de catatonie puis à un suicide dans la rivière. 

Fragments de films

Sur les canaux du Tigre circulent des lanchas, bateaux de ravitaillement qui emmènent eau potable et vivres aux habitants du delta. Si on rate son passage et que les réserves sont épuisées il faudra attendre la suivante pour boire et manger. Et Sergio propose que dans la fiction elle ne passe qu’une fois par mois. Alors quand les personnages l’imaginent partir, s’arrêter, faire mine de revenir et finalement disparaitre, là ça vire au tragique d’autant qu’un couteau circule entre envies de meurtres et suicides. Ces tensions contradictoires approfondissent, densifient et multiplient les facettes du jeu. J’y vois,  en filigrane,  sourdre la figure d’Anna Magnani dans « Mamma Roma » de Pasolini. Autre moment d’échos cinématographiques cette improvisations dans laquelle deux femmes arrivent dans une cabaña où les accueille au homme au sourire figé. Il veut absolument qu’elles mangent. Cette volonté opiniâtre gauchie l’hospitalité et torture. Parfois, les regards de l’homme se teintent d’une insondable cruauté. Se profile ici le souvenir de « Délivrance » de John Boorman. Dans une autre improvisation ce soir-là les moustiques piquent et rien ne peut les en empêcher. Lors de ces assauts tous les personnages perdent la raison et dans cette frénésie due aux piqures  retentit un hurlement de femme. Sergio propose après de faire un concours de cris. Cependant les bouffonneries ne sont pas absentes de ces improvisations. Ainsi un groupe transforme la cabaña tigrense en club de vacances minable, en lieu de dérisoires divertissements ou de réjouissantes vacuités, le tout à vendre. 

La fête triste

Dans l’étape suivante Sergio propose que cette fête se salisse et se déroule sans paroles audibles. Seules les lèvres mobiles témoignent d’un dialogue. Cependant le travail ne se fera pas dans le silence. Un chant répété à l’envie les accompagne. C’est la voix de d’Alfredo Zitarrosa que nous découvrons. Ce sera pour moi un des très beaux cadeaux que ce pays m’aura offert. Sur ce grain velouté, d’une infinie douceur empreinte de nostalgie, flotte comme un sourire qui semble murmurer si tu es triste ce n’est pas grave, tout vaut la peine d’être vécu, même ça. Ils improvisent alors des sauts dans le vide aux allures de suicides mais les morts se relèvent et le tragique se mue en farce. Les émotions labiles fluctuent avec d’infinies nuances, sur le plateau. 

Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA 

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