Je
suis fasciné de voir le temps s’arrêter sur scène. Je ne pense plus à
rien, ni au passé, ni à l’avenir. Nous faisons un filage en roue libre,
cela dure 1h30. Que penser de nous
? Si ce n’est que notre travail devient minimaliste, économique. Tout
se condense et chaque regard peut être un poignard, chaque étreinte peut
étouffer. L’incarnation se savoure, et nous jouons à déjouer nos codes
d’acteurs français. Car ici, il n’y a pas
de texte, ou très peu, et moi qui suis un fervent défenseur du théâtre
classique, je me laisse gagner par le plaisir de créer ensemble une œuvre unique, empreint de mystères, et de sauvagerie.... Car si le
texte n’est pas le moteur premier, et que notre langue
d’expression est ici un espagnol très approximatif, voire inventé, que
reste-il à part nos corps, nos regards, nos silences. Une expressivité
nouvelle naît lentement, je la croyais insoupçonnée... La réalité
devient déconcertante, déroutante.
Je
m’amuse beaucoup à jouer un personnage de metteur en scène
insupportable, capricieux et angoissé. Il est facile d’aller chercher en
moi, ou chez d’autres artistes du théâtre français,
cette part d’ombre dictatoriale, où le théâtre n’est plus seulement un
jeu, un art, mais un chemin de croix. Je suis à la recherche de la
limite juste, entre l'intransigeance et la catastrophe. J’aime beaucoup
ce travail d’acteur si précieux, où notre intériorité
est activée, où chaque regard posé sur un camarade, chaque secret
susurré, chaque absence de mots s’accordent à raconter une histoire
nouvelle, où, pour l’heure, je ne retiens que la perte de soi, la peur
et le besoin des autres, du groupe, comme un microcosme
singulier qui oscille entre déchirure des chairs et lumière noire...
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